“ Être mère ne diminue en rien mes réalisations ou mon ambition. Pourtant, on nous fait souvent sentir le contraire.” Ces mots de Reshma Saujani montre la perception erronée de la maternité qui était au cœur du MomsFirst Summit organisé par cette dernière, où elle a brillamment exposé les nombreux défis auxquels les mères sont confrontées aujourd'hui. Saujani, fondatrice de Girls Who Code, et de MomsFirst utilise sa plateforme pour dénoncer l'injustice et plaider en faveur d'un changement systémique pour 50% de l’humanité.
Lors de ce sommet Reshma Saujani rappelle cette phrase de la chercheuse Andrea O’Reilly, « la maternité... est le travail inachevé du féminisme. » Pour comprendre cette affirmation, il est essentiel de se replonger dans l'histoire. À partir des années 1970, la maternité est progressivement devenue un impensé féministe, bien que des mobilisations contre l'appropriation médicale et institutionnelle des femmes et des mères existent depuis une cinquantaine d'années . Le choix de devenir mère demeure un sujet délicat qui divise les féministes puisque l'autonomie et la liberté des femmes deviennent plus précaires lorsqu'elles mettent au monde des enfants. Reshma Saujani rappelle en effet que lorsque le féminisme de la deuxième vague est à son apogée : Title IX, la pilule contraceptive, la loi sur l'égalité de rémunération, et Roe v. Wade (droit pour l'avortement), un mot est largement absent du lexique féministe : la maternité.
Pour de nombreuses féministes de la deuxième vague, devenir mère signifiait que vous ne pouviez pas être une femme véritablement libérée. Et pour beaucoup de membres de l'ancienne garde, les femmes qui travaillaient ne pouvaient pas être de « bonnes mères ». Ainsi, le mouvement s'est divisé, laissant de nombreuses mères — en particulier les mères célibataires et les mères de couleur — sur le carreau.
L'idée même de maternité a fait l'objet de plusieurs écrits et a été influencée par les différentes idéologies qui ont marqué le mouvement féministe. Des figures comme Simone de Beauvoir ont avancé que la maternité, même désirée, impose aux femmes de renoncer à leur souveraineté et à leur liberté. Cette perspective a conduit à une tension entre liberté et maternité, bien résumée par Françoise Guénette : « Je ne serai plus jamais libre, seule à décider de mon corps et de ma vie »
Et pourtant en 2024, la maternité et son désir ou non désir n’a jamais été autant au coeur des débats féministes.
Alors que les taux de natalité s'effondrent dans les pays développés, les politiciens cherchent désespérément des solutions. Aux États-Unis, l'ancien président Donald Trump a évoqué l'idée de primes pour les femmes qui ont plus d'enfants s'il est réélu. Le président français Emmanuel Macron vise à "réarmer démographiquement" la France, qui consacre déjà 3,5 à 4 % de son PIB aux politiques familiales. Les dirigeants sud-coréens, confrontés à l'un des taux de natalité les plus bas au monde, on investi depuis 2006 jusqu’à 211 milliards de dollars pour augmenter le taux de fertilité. Malgré ces incitations financières substantielles, et de vrais résultats, les experts soutiennent que ces mesures échoueront probablement.
Les taux de fécondité dans les pays riches sont alarmants, bien en dessous du seuil de remplacement de 2,1 enfants par femme. En moyenne, ces taux s'élèvent à seulement 1,6. Les préoccupations des gouvernements sont compréhensibles, mais elles reposent souvent sur une mauvaise interprétation des raisons profondes influençant la taille des familles. Les politiques qui se concentrent uniquement sur des incitations financières négligent souvent des facteurs sociaux et économiques plus profonds, tels que :
- Le coût de la vie élevé
- L'accessibilité au logement
- Les aspirations professionnelles
- L'accès aux services de garde d'enfants
- L'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle
- Les vues culturelles
Cinquante ans plus tard, les mères ne vont toujours pas bien. En France, malgré des politiques de congé maternité payées, les défis demeurent nombreux. Selon une étude de l'INSEE, 39 % des femmes françaises trouvent difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale . Les services de garde, bien qu'existants, restent coûteux. Dans les grandes villes comme Paris, le coût moyen d'une place en crèche pour un enfant de moins de trois ans peut dépasser 600 euros par mois
Les inégalités de revenu entre hommes et femmes persistent également. En devenant pères, les hommes voient leur salaire augmenter en moyenne de 6 %, tandis que les femmes subissent une diminution de 4 % par enfant .
Parmi les salariés travaillant principalement dans le secteur privé en 2022, les femmes gagnent en moyenne 23,5 % de moins en revenu salarial et 14,9 % de moins en équivalent temps plein (EQTP) que les hommes. Leur temps de travail annuel est inférieur de 10,1 % à celui des hommes.
Cette pénalité lié à la maternité aggrave la précarité économique des mères et accentue les défis qu'elles rencontrent au quotidien.
Le féminisme des années 70 s’est intéressé à la figure maternelle en fonction de sa signification domestique, sociale, généalogique et politique . Repenser et reconceptualiser la figure maternelle a permis à certaines théoriciennes féministes de remettre en question la vision patriarcale de la place des femmes dans la société contemporaine. Une nouvelle vision de la mère peut-elle aboutir à de nouvelles pratiques politiques quand nous lisons le constat exposé ci-dessus?
Aux États-Unis, la réflexion sur l’importance de la figure maternelle s’articule autour de trois axes fondamentaux : la maternité comme expérience physique féminine, comme institution ou idéologie patriarcale, et comme recherche identitaire. Une quatrième catégorie, celle de l’agir ou de l’activisme maternel, émerge également. Andrea O’Reilly, fondatrice des motherhood studies, reprend la distinction d’Adrienne Rich entre l’institution (motherhood) et l’expérience (mothering) de la maternité (sou, ouvrant de nouveaux espaces théoriques et politiques pour concevoir la subjectivité féminine.
La justice reproductive, concept défendu par des organisations comme SisterSong Women of Color Reproductive Justice Collective, englobe le droit humain de conserver son autonomie corporelle personnelle, d'avoir des enfants, de ne pas en avoir, et d'élever les enfants que nous avons dans des communautés sécuritaires et durables. Cette perspective souligne l'importance d'inclure toutes les voix dans la lutte pour l'égalité, pour toutes les mères et des femmes qui ne souhaitent pas devenir mères.
Ainsi, intégrer la maternité comme levier clé du féminisme nécessite de repenser fondamentalement nos structures économiques et sociales. Il ne s'agit pas simplement d'ajouter des incitations financières ou des congés parentaux, mais de transformer notre compréhension et notre valorisation du travail maternel.
Par exemple :
L'Économie du care
L'économie du care, un concept central en sociologie et en économie, met en lumière le travail souvent invisible et non rémunéré accompli par les mères. Selon une note de la Fondation des Femmes, le coût d'être mère en France est élevé, non seulement en termes financiers, mais aussi en termes de carrière et de bien-être personnel. Le travail de care, essentiel au fonctionnement de toute société, doit être reconnu et valorisé à sa juste valeur. Cela signifie des politiques de soutien plus robustes, des infrastructures de garde d'enfants accessibles et abordables, et une reconnaissance officielle du rôle des mères dans l'économie.
L'Autonomie économique des mères
Pour intégrer pleinement la maternité dans le féminisme, il est clé d'assurer l'autonomie économique des mere. Cela implique des mesures telles que l'égalité salariale, des congés parentaux partagés et des politiques de retour au travail flexibles. La diminution des revenus des femmes après la maternité n'est pas seulement une question d'injustice individuelle, mais un symptôme d'une société qui ne valorise pas le rôle des mères de manière équitable.
Le rôle des entreprises
Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans cette transformation. En adoptant des politiques favorables aux familles, comme le télétravail, les horaires flexibles, et en offrant des services de garde d'enfants sur place, des formations pour les managers, des services d’accompagnement et de soutien pour la santé des femmes de la contraception à la ménopause. Elles peuvent aider à créer un environnement où les mères peuvent s'épanouir professionnellement sans sacrifier leur vie familiale. Des entreprises innovantes montrent déjà la voie en démontrant que soutenir les mères conduit à des efectifs plus heureux et plus productifs.
Une Nouvelle vision de la maternité
Repenser la maternité signifie également changer notre vision culturelle de ce que signifie être une mère. Au lieu de voir les mères comme isolées et seules dans leur lutte, il est important de promouvoir une vision sociétale de la maternité, où le soutien et la solidarité sont au cœur. Cela pourrait inclure des initiatives de soutien entre mères, des réseaux de partage de soins et une culture plus inclusive et compréhensive au sein des entreprises et des institutions.
Enfin comme le rappelle Reshma Saujani, " La maternité doit être au cœur de la lutte pour l'égalité des sexes. Nous ne pouvons pas répéter les erreurs commises il y a cinquante ans. Il y a de la place pour nous toutes dans cette lutte : mères de couleur, mères célibataires, mères qui travaillent et celles qui ne traavaillent pas, personnes qui veulent devenir mères et celles qui ne le veulent pas." Ce n'est qu'en reconnaissant et en valorisant le rôle des mères que nous pourrons véritablement progresser vers une société plus juste et inclusive. Si la maternité est le travail inachevé de l'égalité des sexes, il faut collectivement œuvrer pour l'achever.
Tous les jours.
Happy Mothers Day
Fatoumata Ly
Co-fondatrice de Ninti
Ninti accompagne et sensibilise les entreprises à la santé des femmes.
Pour les entreprises et les organisations souhaitant soutenir cette vision, Ninti accompagne et sensibilise les entreprises par l'angle de la santé des femmes. En travaillant avec Ninti, les entreprises peuvent sensibiliser les managers à travers des ateliers, soutenir les personnes en désir d'enfants grâce à notre portail en ligne, développer des politiques et des environnements de travail qui soutiennent pleinement toutes les femmes, contribuant ainsi à une société plus équitable pour tous et toutes.